XIV
La Révolte

 

Sitôt sorti du tribunal, Alvin se mit à courir à longues foulées bondissantes en direction du fleuve. Aucun chant vert ne l’aida au début, car la ville était trop bâtie. Il était pourtant à peine fatigué en arrivant là où Arthur, Mike et Jean-Jacques se réveillaient de leur sieste de fin d’après-midi. Ils voulurent un moment lui montrer ce qu’avait peint le Français, mais Alvin n’avait pas le temps.

« J’étais au tribunal, j’arrivais pas à suivre la moitié des bavasseries, puis mon esprit s’en est parti vers Margaret, il l’a trouvée, et j’ai senti son cœur battre si fort que j’ai compris que quèque chose allait de travers. Elle écrivait de grosses lettres dans l’vide. Au secours. J’ai regardé à l’entour et j’ai vu Calvin étendu sus l’plancher d’un grenier de Camelot, en piteux état. »

Jean-Jacques compatit.

« Vous devez vous sentir impuissant, vous êtes tellement loin. »

Mike Fink hurla de rire.

« L’est jamais impuissant, Alvin, partout ousqu’il est.

— Ça veut dire qu’on va se séparer d’vous, Jean-Jacques, dit Alvin. En tout cas, quèques-uns d’entre nous. Arthur, tu t’en viens avec moi. »

Arthur, qui attendait sur des charbons ardents ce que son ami avait prévu pour lui, sourit alors et se détendit.

« Mike, j’aimerais que tu t’rendes en ville voir Véry. Il sera avec cette fille, Purity, m’est avis, ou alors je serais joliment surpris. Tu pourrais p’t-être y dire que vous devez tous filer, lui, elle, Jean-Jacques et toi, vers la frontière d’la Nouvelle-Amsterdam. J’crois qu’on pourra s’retrouver à Philadelphie quand j’en aurai fini avec ce que Margaret veut que j’fasse.

— Où ça ? demanda Mike. C’est grand, Philadelphie.

— À la pension de madame Louder, tiens.

— Et si elle a pas d’place ?

— Ben, tu y donneras ton adresse. Mais elle aura d’la place. » Alvin se tourna de nouveau vers Jean-Jacques. « Ç’a été un plaisir, et j’suis fier de connaître un homme qu’a un talent d’même pour peinturer, mais j’emmène Arthur et asteure on a plus personne pour vous tenir les oiseaux tranquilles.

— Qu’est-ce que je fais, alors ? s’inquiéta le Français. Je vous mets en colère quand je tue les oiseaux et que je les empaille. Ma carrière est finie si je ne les tue pas. »

Alvin se tourna vers Arthur Smart.

« Faut que j’te confesse, Arthur, moi, ça m’tracasse pas qu’il tue un oiseau par-ci par-là pour que l’monde étudie ses peintures. »

Le gamin, immobile, regardait par terre.

« Arthur, j’ai pas des masses de temps icitte », fit Alvin.

Arthur releva les yeux sur Jean-Jacques, puis sur Alvin.

« J’veux jusse connaître une chose. Ç’a une âme, un oiseau ?

— Suis-je un… comment on dit ? un théologien ? fit le Français.

— J’veux jusse… Si un oiseau meurt, quand il meurt, quand vous l’tuez, il lui arrive quoi ? Il est complètement mort ? Ou esse qu’y a une ’tite partie d’lui qui… ? »

Arthur, immobile, avait les larmes qui lui roulaient sur les joues. Alvin avança les bras pour l’étreindre, mais le gamin recula. « J’veux pas qu’on m’serre dans les bras, cré vingt djeux, j’veux une réponse !

— J’connais pas ces affaires-là, fit Alvin. Ce que j’vois, c’est comme une ’tite flamme dans tout c’qui vit. Les hommes, ç’a une grosse flamme brillante, la plupart, toujours bien, mais y en a une de même dans toutes les bêtes. Dans les plantes itou, mais elle s’étale tout partout, pas seulement ramassée dedans un coin comme chez les animaux. Margaret voit quèque chose qui r’semble, elle m’a dit, mais chez les bêtes elle aperçoit guère plusse qu’une lueur, comme une ombre de flamme, si tu m’suis. Mais cette flamme de vie, c’est-y une âme ? Ça, j’connais pas. Et il lui arrive quoi après que l’corps est mort ? J’connais pas non plus. J’connais qu’elle est plus dedans l’corps. Mais aussi que la flamme de vie peut des fois sortir. Ça m’arrive quand ma bestiole se promène, y a une partie d’moi qui s’en va. Est-ce que ça veut dire que tout peut s’en aller quand l’corps est mort ? J’connais pas, Arthur. Tu m’demandes ce que j’peux pas te dire.

— Mais c’est possible, ça tu peux l’dire, non ? Elle peut continuer d’vivre, par rapport que si c’est possible chez les hommes, ça s’peut aussite chez les oiseaux, non ? Leur flamme de vie est p’t-être plus p’tite, mais c’est pas pour ça qu’elle s’éteint quand ils sont morts, pas vrai ?

— M’est avis que ça s’tient, fit Alvin. M’est avis que si nous autres, on continue d’vivre après la mort – et j’crois que c’est vrai, c’est jusse que je l’ai pas vu –, pourquoi pas les oiseaux ? Une flamme de vie c’est une flamme de vie, d’après moi, tant qu’on m’prouvera pas le contraire. Ça te va ? »

Arthur Stuart opina. « Alors vous pouvez tuer un oiseau par-ci par-là si y a pas d’autre moyen. »

Jean-Jacques Audubon salua Arthur de la tête. « Je crois, monsieur Stuart, que c’est la question que vous vouliez en réalité me poser dès le début. Déjà à Philadelphie. »

Arthur Stuart prit un air gêné. « P’t-être ben qu’oui, j’étais pas sûr moi-même. »

Alvin passa la main dans les cheveux crépus de son jeune ami. Arthur s’effaça. « M’traite pas comme un bébé.

— Si t’aimes pas ça, t’as qu’à grandir, fit Alvin. Tant que tu seras plus p’tit qu’moi, je vais user de ta caboche chaque fois que j’en aurai envie pour me gratter quand ça démange. » Il toucha le bord de son chapeau pour saluer Mike et Jean-Jacques. « J’te verrai à Philadelphie, Mike. Jean-Jacques, j’espère vous revoir un d’ces jours, ou voir vot’ livre en tout cas.

— Je vous réserve un exemplaire, dit le Français.

— Ça m’plaît pas, fit Mike. Je devrais être avec vous autres.

— J’te promesse, Mike, c’est pas moi qui serai en danger là-bas.

— C’est une maudite bêtise que tu fais là !

— Quoi ? De t’laisser icitte ?

— De guérir Calvin. »

Alvin comprit l’amour qui motivait ces paroles, mais une idée pareille ne pouvait rester sans réponse. « Mike, c’est mon frère.

— J’suis plusse ton frère que lui l’a jamais été, répliqua Mike.

— Tu l’es asteure, fit Alvin. Mais y a eu un temps où il était mon meilleur ami. On faisait tout ensemble. J’ai pas de souvenirs de mon enfance où il figure pas, pas beaucoup en tout cas.

— Alors, pourquoi il est comme ça avec toi ?

— P’t-être que j’ai pas été un si bon frère pour lui qu’lui pour moi, dit Alvin. Mike, j’m’en vais revenir sain et sauf.

— C’est aussi fou que ton idée de r’toumer dans la prison.

— J’en partais chaque fois que j’avais b’soin. Asteure faut qu’j’y aille. Je veux que t’emmènes Jean-Jacques hors de Nouvelle-Angleterre sans qu’on l’déporte comme catholique, et puis En-Vérité et Purity ont besoin de quèqu’un pas timbré d’amour pour veiller à ce qu’ils mangent et dorment. »

Arthur Stuart serra solennellement la main de Mike et de Jean-Jacques. Alvin les étreignit tous les deux. Puis ils s’élancèrent au petit trot, l’homme devant, le gamin sur ses talons. Au bout de quelques minutes, le chant vert les enveloppa et ils volèrent littéralement à travers les bois le long du fleuve.

 

*

 

« Il arrive, dit Margaret.

— Où il être, vous dire ? » demanda Gullah Joe.

Dehors, ils entendirent des chevaux au galop. Les chants et les gémissements des quartiers d’esclaves s’accroissaient à mesure que le soleil déclinait et que les ténèbres s’épaississaient.

« Je l’ignore, répondit Margaret. Il est au milieu de la musique. Il court. Il file comme le vent. Mais la route est si longue.

— Nous avons parlé aux gens comme vous vouliez, fit Danemark, mais ça sera trop dur pour eux. La colère, elle vient vite. J’ai entendu causer de tuer des Blancs ce soir dans leurs lits. Je les ai entendus, ils disaient : Faut tuer aussi les bébés blancs, les enfants. Tuer tout le monde.

— Je sais. Vous avez fait de votre mieux.

— Y avoir d’autres aussi, dit Gullah Joe. Pas de nom leur revenir. Vides comme lui. Encore plus vides. Mourir. Lui les tuer. »

Margaret baissa les yeux sur le corps de Calvin. Le souffle du jeune homme était si ténu qu’elle devait de temps en temps vérifier sa flamme rien que pour s’assurer qu’il vivait toujours. Poissarde et la femme de Danemark s’occupaient maintenant de lui et permettaient ainsi à Margaret de se reposer, mais à quoi bon le laver ? Peut-être pour empêcher la fièvre de monter. Peut-être tout bonnement pour qu’il reste hydraté. Elles ne lui tenaient certainement pas compagnie vu qu’il avait perdu connaissance des heures plus tôt, et tous ses avenirs se réduisaient à une malheureuse poignée dont aucun ne menait à une mort misérable ici, ce soir, dans ce grenier.

« Pourquoi il se réparer pas, lui ? demanda Gullah Joe. L’est fort.

— Fort mais ignorant, répondit Margaret. Mon mari a essayé de lui montrer, mais il a refusé d’apprendre. Il voulait les résultats sans appliquer la méthode.

— Jeune, lâcha Gullah Joe.

— J’ai appris quand j’étais jeune, moi, dit Danemark.

— Tu jamais jeune », répliqua le sorcier.

Danemark grimaça. « T’as raison, Gullah Joe.

— Votre épouse », dit Margaret.

Danemark regarda l’esclave qu’il avait achetée et dont il avait détruit la vie. « Jamais elle m’a permis de l’appeler comme ça.

— Elle ne vous a jamais dit son nom non plus », fit Margaret.

Danemark secoua la tête. « J’y ai jamais donné de nom d’esclave. Elle a jamais dit son vrai nom. Alors j’en ai jamais eu pour elle.

— Est-ce que ça vous plairait de le prononcer, ce nom ? Ne croyez-vous pas que, dans son état présent, elle aimerait entendre quelqu’un l’appeler par son nom ?

— Quand elle aura retrouvé sa tête, elle voudra pas.

— L’esclavage pousse à faire de drôles de choses, dit Margaret.

— J’ai jamais été un esclave.

— Vous en étiez un tout de même. On vous a enfermé entre quatre murs de lois. Qui est davantage esclave que celui qui doit faire semblant d’en être un pour survivre ?

— C’est pas ce qui m’a poussé à lui faire ça, à elle.

— Je ne sais pas. Évidemment, vous avez décidé tout seul. Vous avez voulu vous procurer une femme comme le faisait votre père : vous en avez acheté une. Puis vous vous êtes trouvé dans une situation difficile. Vous avez cru que le meurtre était votre dernier espoir. Mais, au dernier moment, vous n’avez pas pu le commettre.

— Pas au dernier moment, rectifia Danemark. Au moment suivant.

— Oui, fit Margaret. Presque trop tard.

— Maintenant je vis avec elle tous les jours. Qui possède l’autre, à présent ?

— Toute cette colère dehors… Et si les esclaves tuent les gens ? Vous croyez que ce sont des meurtriers ?

— Vous croyez, vous, qu’ils le sont pas ?

— Il doit exister quelque chose entre le meurtre et l’innocence. J’ai sondé les recoins les plus sombres des flammes de tout le monde. Dans chacune, j’ai vu des souvenirs qu’on aurait préféré oublier. Et des crimes naissent de… de désirs honnêtes qui ont mal tourné, de passions légitimes qui sont allées trop loin. Des crimes qui n’étaient au départ que des erreurs. J’ai appris à ne jamais juger les gens. Évidemment, je juge s’ils sont dangereux ou non, ou s’ils ont bien ou mal agi, comment peut-on vivre sans porter de jugements ? Ce que je veux dire, c’est que je ne peux pas les condamner. Quelques-uns, oui, ceux qui aiment voir souffrir les autres, des âmes indignes qui n’existent que pour leur propre satisfaction. Mais elles sont rares. Savez-vous seulement de quoi je parle ?

— Je sais que vous avez peur, répondit Danemark. Vous parlez quand vous avez peur.

— On est à l’abri, ici, fit Margaret. Mais je suis… Ce que vous avez fait à votre épouse, Danemark, vous croyez que je n’ai pas songé faire la même chose à quelqu’un ? À un ennemi ? À quelqu’un qui, je le sais, apportera la mort à la personne que j’aime le plus au monde, la personne que j’ai aimée toute ma vie depuis ma plus tendre enfance ? Je connais cette impression de désespoir. Il faut l’en empêcher. Et alors l’occasion se présente. Il est sans défense. Tout ce qu’il faut faire, c’est laisser la nature suivre son cours, et il mourra.

— Mais vous appelez votre mari. Vous remuez les bras et vous écrivez des lettres en l’air. Il voit ça, sûrement.

— J’ai donc choisi la meilleure solution.

— Comme moi.

— Mais peut-être trop tard. »

Danemark haussa les épaules.

« Pitêt. C’est pas encore fini.

— Tous ces gens assoiffés de vengeance, que vont-ils choisir ? Quand sera-t-il trop tard pour eux ? Sauront-ils quand s’arrêter ? »

Un autre bruit. Des pas cadencés. Margaret courut à la fenêtre.

La garde royale investissait Blacktown.

« Imbéciles, fit Gullah Joe. Nous faire quoi à Blacktown ? Nous faire mal à qui ? Avoir peur de nous, pas se souvenir avoir gens noirs qui les détester, dans maisons à eux, attendre en bas l’escalier. Homme blanc dormir. Noirs monter l’escalier, cuisinière avoir couteau, jardinier faucille, maître d’hôtel qui ouvrir bouteille de vin avoir verre avec bord coupant. Quand le sang partout sur les murs, quand les corps tout vides, qui homme noir porter grand chapeau ? Qui femme noire porter robe pleine de sang ? »

Margaret ne put supporter les images horribles. Elle les avait déjà vues dans les flammes de vie ardentes d’esclaves en colère.

Ce que Gullah Joe imaginait, elle l’avait découvert au bout de milliers de chemins futurs. Avant que Calvin déchire les cordes-noms, cet avenir n’apparaissait nulle part. Impossible pour elle de le prédire. Calvin avait le pouvoir de tout changer sans prévenir.

Margaret n’avait pas l’habitude des surprises. Elle ne savait pas comment traiter une situation dont elle n’avait pas suivi l’évolution et à laquelle elle n’avait pas réfléchi, faute de temps.

Elle s’éloigna dans un angle du local. Elle se mit à prier.

Mais elle n’arrivait pas à se concentrer sur le contenu de sa prière. Elle pensait sans cesse à Calvin. Comme si elle n’avait pas assez de sujets de préoccupation par ailleurs. C’était du Cal tout craché, non ? Libérer des forces capables de causer la mort de milliers de personnes pendant que lui-même allait rester étendu là, agonisant.

Pour ce qui était de Gullah Joe et de Danemark, elle n’avait pas le courage de le leur apprendre, mais l’avenir le plus probable, que la révolte des esclaves éclate ou non, révélait que le roi et ses hommes allaient se mettre à la recherche de celui qui avait organisé la rébellion. Il s’agissait forcément d’un coup monté. Ce n’était pas un hasard si l’entière population d’esclaves de Camelot, encore docile le matin, se mettait soudain à chanter des mélopées funèbres et à hurler dans chaque maison à la tombée de la nuit. Il y avait fatalement complot. On avait dû donner un signal. Ce serait facile de trouver des esclaves qui, sous la torture, parleraient du ramasseur de noms. Et d’autres qui le montreraient du doigt. On baptiserait cette révolte la Guerre de Danemark Vesey, comme si aller assassiner des familles dans leur sommeil relevait de la guerre, puis un esclave sur trois serait pendu en châtiment, tandis que Danemark Vesey serait débusqué puis écartelé, après quoi on exposerait ses morceaux sur des poteaux dans Blacktown afin que nul n’oublie.

Elle n’avait pas le courage de le lui dire. Ce qui importait peu, en fin de compte, car une chose était sûre dans la flamme de vie de Danemark : s’il devait connaître un tel sort, il croirait qu’il le méritait à cause de ce qu’il avait infligé à sa femme.

Calvin. Voilà qu’il s’immisçait encore dans ses pensées. Un détail à propos de Calvin. Quoi ? Il ne peut pas se guérir tant seul, alors à quoi sert-il ?

À quelque chose qu’il sait faire, lui.

Margaret se releva de sa position de prière et se précipita vers Gullah Joe. « Vous avez déjà accompli ce genre de chose, Gullah Joe. J’ai entendu raconter ces histoires-là, je les ai vues les souvenirs des esclaves, les légendes des zombies, les morts-vivants.

— Je faire pas ça, répliqua le sorcier.

— Je sais, vous ne le faites pas exprès, mais regardez-le, il est mort mais vivant quand même. Vous avez forcément un moyen, dans vos ustensiles, dans vos poudres, pour le réveiller. Rien qu’un instant.

— Le réveiller, après il mourir plus vite.

— J’ai besoin de lui. Pour sauver tous ces gens à qui il a causé du tort.

— Il guérir pas son corps à lui, lâcha Gullah Joe d’un ton méprisant.

— Parce qu’il ne sait pas comment s’y prendre. Mais il peut faire quelque chose. »

Gullah Joe se leva et s’approcha de ses bocaux. Il obtint bientôt une mixture – une mixture dangereuse, à en juger par les précautions qu’il prit pour éviter tout contact des poudres avec sa peau et pour détourner la tête durant la préparation afin de ne pas risquer de les respirer. Le mélange prêt, il le versa dans un petit soufflet par un trou qu’il reboucha ensuite hermétiquement. Ce qui ne l’empêcha pas de mouiller des linges pour que tout le monde respire au travers, au cas où quelques grains de poudre se seraient échappés.

Puis il saisit le soufflet, en introduisit l’extrémité dans une narine de Calvin et colmata l’autre avec de la cire. « Toi, dit-il à Danemark. Tenir sa bouche fermée.

— Non, dit Danemark. Je peux pas. C’est comme le noyer.

— Je m’en charge, proposa Margaret.

— Vous direz quoi au mari, alors, si ça tourne mal ?

— C’est de ma faute, de toute façon. C’est moi qui vous ai demandé de le faire.

— Je le fais, moi, ma’am, intervint Poissarde. Je fais ça. »

Margaret recula. Poissarde passa une main sous la mâchoire de Calvin et lui posa l’autre au sommet du crâne.

« Je dire vas-y, tu fermer fort sa bouche », dit Gullah Joe.

Poissarde hocha la tête.

« Vas-y. »

Elle serra la bouche de Calvin comme dans un étau. Le jeune homme se débattit faiblement pour chercher son souffle. Il n’obtenait rien de plus qu’un mince filet d’air autour de l’embout du soufflet. Gullah Joe actionna brutalement l’instrument à l’instant même où Calvin aspirait désespérément. Un nuage de poussière monta autour du soufflet. Le sorcier se tenait prêt. Il empoigna un seau d’eau et en inonda Calvin, ce qui figea et déposa en même temps la poussière par terre.

Calvin se contracta et se contorsionna violemment. Puis il se redressa sur son séant après s’être libéré de l’étreinte de Poissarde et avoir arraché le soufflet ainsi que la cire de ses narines. Il s’étrangla et toussa en voulant se désencombrer les poumons.

Il n’avait pas l’air en meilleure santé. Pour tout dire, des lambeaux de peau se détachaient, glissaient comme du fruit pourri jeté contre une fenêtre. Mais il était éveillé.

« Calvin, écoute-moi », dit Margaret.

Pour toute réponse, il s’étouffa et hoqueta.

« Les esclaves sont sur le point de se révolter. Il faut les en empêcher. Alvin est trop loin, j’ai besoin de ton aide. »

Calvin se mit à pleurer. « J’peux rien faire !

— Réveille-toi ! lui cria Margaret. Sois un homme, pour une fois ! Il ne s’agit pas de toi, il ne s’agit pas d’Alvin. Il s’agit de faire ce qu’il faut pour des gens qui ont besoin de toi. »

Une partie de ce qu’elle disait finit par pénétrer dans le cerveau embrumé de Calvin. « Oui, répondit-il. Dis-moi quoi.

— Quelque chose pour leur ôter la colère du crâne. Ce qu’il nous faut, c’est une grosse tempête. Le vent, la pluie. Les éclairs !

— J’fais pas les éclairs, moi.

— Comment le sais-tu ?

— Par rapport que j’ai pas arrêté d’essayer depuis tout p’tit. » Son regard tomba sur sa main. Il vit l’os à nu d’un doigt « Margaret, il m’arrive quoi ?

— Tu es resté trop longtemps hors de ton corps, répondit la jeune femme. Alvin se dépêche de venir pour te sauver.

— Il veut pas m’aider, il veut ma mort !

— Cesse de penser à toi, Calvin, fit-elle d’une voix sévère. Il me faut quelque chose qui donne l’impression d’une force de la nature.

— J’peux faire des incendies. J’peux mettre le feu à la ville. »

Alors qu’il disait ces mots, deux flammes toutes petites se mirent à danser à côté de lui sur le plancher.

« Non ! s’écria Margaret. Grand Dieu, es-tu fou ? On accuserait les esclaves de les avoir allumés, ce serait pire ! Pas le feu.

— J’connais pas comment marchent les choses, dit Calvin. Pas assez bien pour les changer. Alvin a essayé de m’apprendre, mais moi, tout c’qui m’intéressait c’était d’épater l’monde. » Il se remit à pleurer. Margaret dut lui saisir les poignets pour l’empêcher de se décoller la peau de la figure.

« Reprends-toi », ordonna-t-elle. Elle se retourna, impuissante, vers Gullah Joe. Il n’y a donc rien…»

Le sorcier partit d’un rire dément. « Je dire à vous ! Pas bon comme ça ! Zombie pas bon ! Ce qu’il croire seulement être mort ! Triste, très triste, lui.

— Et l’eau ? demanda-t-elle à Calvin. Je sais qu’Alvin et toi vous jouiez avec l’eau, il me l’a dit. Vous faisiez des éclaboussures sans jeter de pierres dedans… Vous jouiez à ce jeu. Tu te souviens ?

— On la faisait bouger, convint-il.

— Oui, c’est ça. Fais-la bouger là-bas. Dans le fleuve, de grosses vagues. Fais-la déborder sur la berge. Une inondation.

— Tout ce qu’on obtenait, c’était un p’tit clapotis.

— Eh bien, cette fois, arrange-toi pour que ce soit un gros ! » cria Margaret dont la patience s’effritait. Mais lui en restait-il, seulement, de la patience ?

« J’vais essayer, j’vais essayer, j’vais essayer. » Il se remit à pleurer.

« Arrête ! fais-le, c’est tout ! »

Elle sentit quelqu’un s’agenouiller près d’elle. Poissarde ? Non, la femme de Danemark. Elle avait un linge humide. Doucement, elle le pressa contre le front de Calvin. Puis contre sa joue. Elle marmonna des mots inintelligibles, mais sur une musique calme et rassurante. Calvin ferma les yeux et entreprit de gonfler les eaux du fleuve.

Margaret ferma aussi les yeux et partit à la recherche de flammes de vie du côté du fleuve. Elle les passa rapidement en revue, en amont et en aval, au nord et au sud de la péninsule. Personne ne regardait du côté de l’eau. Tout le monde se tournait vers l’intérieur des terres, s’inquiétait des clameurs des esclaves.

Puis un homme s’aperçut que les bateaux s’agitaient. Les mâts se penchaient d’un bord puis repartaient de l’autre. Il observa l’eau. Les vagues se succédaient, comme provoquées par la chute de pierres géantes, ou peut-être par quelque chose qui battait à grande profondeur sous la surface. Chacune dépassait en hauteur la précédente. Elles commencèrent à se briser sur les quais.

De plus en plus de gens voyaient les vagues désormais, et ceux qui se trouvaient le plus près du bord se mirent à courir vers l’intérieur de la ville. Les vagues gagnaient les rues, formaient des rivières qui coulaient sur les pavés. Davantage dans et terres, l’eau finit par traverser la péninsule. Des bateaux heurtèrent le quai et se fracassèrent en petit bois. Des fuyards sillonnaient les artères en hurlant, frappaient aux portes, suppliaient qu’on les laisse entrer.

Et les esclaves aussi frappaient aux portes. Alors qu’un instant plus tôt ils ne pensaient qu’au meurtre et à la vengeance, ils cédaient maintenant à une nouvelle frénésie dans leurs logements de plain-pied : gagner le premier étage avant que la crue ne les noie. Les vagues, une à une, déferlèrent chez les esclaves. Les clameurs et les chants cessèrent, remplacés par une cacophonie de cris de panique.

Beaucoup de Blancs, au vu de l’inondation, ouvrirent les portes et laissèrent leurs serviteurs noirs, à présent calmés et apeurés, entrer se mettre à l’abri. D’autres, cependant, gardèrent porte close, et plus d’un déchargea une arme à travers le battant en conseillant aux sinistrés de ne pas approcher.

Les Noirs ne songeaient plus à tuer les familles blanches pour lesquelles ils travaillaient. Déjà ils répétaient les histoires qui, à leur sens, expliquaient les événements. « Dieu l’a dit, tu ne tueras point, ou alors j’envoie un déluge comme pour Noé ! » « Seigneur ; je ne veux pas mourir ! » La terreur l’emporta sur la fureur, l’écrasa, la balaya, la noya, du moins provisoirement « Ça suffit, dit Margaret. Tu y es arrivé, Calvin. Ça suffit. »

Calvin sanglota, soulagé. « C’était tellement dur ! » Il se rallongea sur le dos, roula sur le côté, se mit en boule et pleura. Ou plutôt il essaya de se mettre en boule. Lorsqu’il ramena ses jambes sur le plancher, son pied droit se détacha de son corps. Margaret eut un haut-le-cœur. Mais la femme de Danemark se baissa, ramassa le pied et le remit en place au bout de la jambe mutilée.

« L’est comme mort, dit Danemark.

— Non, gémit Margaret. Oh, Calvin, pas maintenant que tu as enfin fait le bien !

— Meilleur moment pour mourir, dit Poissarde d’un ton obligeant. On va au paradis. »

Margaret se tourna une nouvelle fois vers Gullah Joe.

« Pas regarder moi, vous ! fit-il. Je faire ce que vous dire, voilà ce qui arriver !

— Et s’il envoyait encore sa bestiole ? Comme avant ? Même s’il meurt, est-ce que vous pouvez la retenir ? L’empêcher de s’en aller ?

— Vous croire je être quoi ? Sorcier, moi ! Vous vouloir Dieu !

— Vous l’avez déjà retenu prisonnier. Refaites-le ! Essayez ! »

En même temps qu’elle insistait, elle voyait les chemins de l’avenir changer. Lorsqu’elle en distingua enfin un où Calvin vivait encore au lever du soleil, elle lui cria : « Là ! Faites ça !

— Quoi ?

— Ce que vous étiez en train de penser ! Au moment où j’ai crié. »

Gullah Joe jeta les bras en l’air en un geste désespéré, mais il se mit à l’ouvrage, aidé par Danemark et Poissarde, déplaça des charmes afin de former un nouveau cercle au milieu duquel il posa une boîte ouverte. « Dire à lui aller dans boîte. Mettre tout lui dans boîte.

— Tu as compris ce qu’il a dit, Calvin ? »

Calvin gémit de douleur.

« Envoie ta bestiole ! Il va l’attraper et la sauver. C’est ta seule chance, Calvin ! Envoie ta bestiole à Gullah Joe, va dans la boîte qu’il tient. Fais-le, Calvin ! »

Haletant d’un souffle ténu, Calvin s’exécuta de son mieux.

Gullah Joe n’arrêtait pas de jeter une poudre fine dans le cercle. Ce n’est qu’au dixième lancer qu’il poussa un cri. « Vous voir ça ? Partie de lui aller dedans ! Regarder ça ! »

Un autre lancer de poudre, et cette fois Margaret vit aussi l’étincelle.

« Briller fort, lui ! Dedans, aller dedans !

— Vas-y, Calvin. Toute ton attention, mets-la dans cette boîte. Tout ce qui est toi, dans la boîte ! »

Il cessa de geindre. Il roula sur le dos, les yeux fixés en l’air.

« Il a fait tout ce qu’il a pu ! s’écria Margaret. Il est épuisé.

— Lui mort », dit Poissarde.

Gullah Joe rabattit dans un claquement le couvercle de la boîte qu’il retourna et sur laquelle il s’assit.

« Tu couves ça ? demanda Poissarde.

— Dans le cercle ! Dans mes cheveux. » Gullah Joe eut un grand sourire.

« Cette fois, il pas sortir !

— D’accord, Alvin, murmura Margaret. Viens vite. »

Elle se laissa aller en arrière contre la femme de Danemark, agenouillée derrière elle comme un coussin. « Je suis si fatiguée, dit-elle.

— Nous dormons tous à présent, dit Danemark.

— Pas moi », fit Gullah Joe.

Margaret ferma les yeux et porta encore son attention vers la ville. Le fleuve avait retrouvé son calme et la panique était retombée, mais la révolte était oubliée pour le reste de la nuit. L’envie de tuer avait quitté le cœur des Noirs.

Mais l’idée renaissait dans d’autres cœurs. Des Blancs se précipitaient vers le palais, exigeant que l’on débusque l’initiateur du complot. C’était forcément un complot, tous ces esclaves qui se soulevaient en même temps. Seule l’intervention miraculeuse des vagues les avait sauvés. Faites quelque chose, demandèrent-ils. Arrêtez les meneurs de la révolte.

Et le roi Arthur écouta. Il appela ses conseillers et les écouta à leur tour. Bientôt des enquêteurs parcoururent les rues à la tête de groupes de soldats qui rassemblaient des Noirs pour interrogatoire.

Dans combien de temps ? songea Margaret. Dans combien de temps va-t-on citer le nom de Danemark Vesey ?

Bien avant l’aube.

Margaret se mit debout. « Pas le temps de se reposer maintenant, dit-elle. Alvin va venir. Dites-lui ce que vous avez fait. Ne faites aucun mal au corps de Calvin. Conservez-le aussi frais que possible. »

Gullah Joe roula des yeux. « Où vous aller ?

— Le moment est venu de me rendre à mon audience avec le roi. »

 

*

 

Lady Ashworth passa toute la rébellion à vomir dans sa chambre. Toute l’inondation aussi. Car son mari avait découvert sa liaison avec ce jeune homme – des esclaves jusqu’alors dociles paraissaient soudain prendre plaisir à semer la zizanie entre Lord Ashworth et elle. Elle allégua en vain n’avoir succombé qu’une seule fois, elle implora en pure perte son pardon. Une heure durant elle resta assise dans le petit salon, tremblante et en pleurs, tandis que son époux brandissait d’une main un pistolet et de l’autre une épée, qu’il reposait régulièrement à tour de rôle afin de s’octroyer une nouvelle lampée de bourbon.

Ce furent uniquement les clameurs des esclaves qui mirent fin à ses rodomontades meurtrières et suicidaires d’ivrogne. Dans cette maison-ci, aucun Noir ne tenait à braver un Blanc pris de folie armé d’un pistolet, mais l’homme n’hésiterait tout de même pas à les abattre s’ils refusaient de se taire, s’ils ne cessaient pas leurs chants et leurs gémissements. Dès qu’il la laissa seule, Lady Ashworth fila dans sa chambre et verrouilla la porte. Elle vomit si brusquement qu’elle n’eut pas le temps de se déplacer d’abord – son vomi souilla le battant et le plancher en dessous. À l’arrivée de la crue, il ne lui restait plus rien à rendre, mais elle continuait d’être secouée de haut-le-cœur.

Les Noirs terrifiés et Lady Ashworth indisposée, la seule personne en mesure de répondre aux coups de sonnette insistants de Margaret à la porte fut Lord Ashworth lui-même, qui s’encadra dans l’entrée, ivre et débraillé, le pistolet toujours à la main, pendouillant par la détente. Margaret se pencha aussitôt et lui retira l’arme.

« Que faites-vous ? demanda-t-il. C’est mon pistolet. Qui êtes-vous ? »

Margaret comprit la situation grâce à quelques coups de sonde dans la flamme de vie de l’homme. « Pauvre imbécile, dit-elle. Votre femme n’a pas été séduite. Elle a été violée.

— Alors pourquoi ne l’a-t-elle pas dit ?

— Parce qu’elle a cru à une séduction.

— Que savez-vous de tout cela ?

— Conduisez-moi tout de suite auprès d’elle, monsieur !

— Sortez de chez moi !

— Très bien, fit Margaret. Vous ne me laissez pas le choix. Je vais être forcée de signaler à la presse qu’un officier de confiance du roi entretient depuis deux ans une liaison avec l’épouse d’un certain planteur de Savannah. Sans parler de toutes les fois où il accepte l’hospitalité de propriétaires d’esclaves qui veillent à ne pas le laisser dormir seul. Je crois que les relations sexuelles entre Blancs et Noirs sont toujours un délit dans cette ville ? »

Il recula, leva la main pour pointer son arme sur l’intruse et se souvint que c’était elle qui tenait son pistolet « Qui vous envoie ? fit-il.

— Je m’envoie toute seule, répondit-elle. J’ai une affaire urgente à débattre avec le roi. Votre femme n’est pas en état de m’emmener. Vous allez donc vous en charger.

— Une affaire avec le roi ! Vous voulez qu’il me jette hors de son bureau ?

— Je connais le meneur de la révolte des esclaves ! »

Lord Ashworth était déconcerté. « La révolte des esclaves ? Quand ?

— Ce soir, pendant que vous menaciez de tuer votre épouse. C’est une femme futile, Lord Ashworth, et elle a un penchant à la méchanceté, mais elle est plus fidèle dans le mariage que vous. Vous pourriez en tenir compte avant de recommencer à la terrifier. Maintenant, vous m’emmenez chez le roi, oui ou non ?

— Dites-moi ce que vous savez et je l’en informerai.

— Une audience avec le roi ! exigea Margaret. Tout de suite ! »

Lord Ashworth finit par comprendre tant bien que mal qu’il n’avait pas le choix. « Je dois me changer, dit-il. Je suis ivre.

— Oui, bien sûr, changez-vous. » Lord Ashworth s’en repartit en titubant.

Margaret entra d’un pas décidé dans la maison tout en appelant : « Biche ! Lion ! Où êtes-vous ? »

Elle ne les trouva qu’après avoir ouvert la porte donnant sur le rez-de-chaussée. À demi immergés dans l’eau de l’inondation, les esclaves formaient le groupe le plus effrayé et pitoyable qu’elle avait jamais vu. « Montez maintenant, dit-elle. Lion, votre maître a besoin d’aide pour s’habiller. Il est complètement soûl, mais j’ai son pistolet. » Elle lui montra l’arme. Puis, assurée que Lion ne nourrissait aucune idée de meurtre, elle la lui tendit. « Je suggère que vous perdiez cet objet et que vous ne le retrouviez pas avant quelques jours. » Il monta l’escalier avec le pistolet et ne le lâcha dans sa poche qu’à la dernière seconde.

« Vous sûre il tue pas le maître ? demanda Biche.

— Biche, je sais que vous êtes une femme libre, mais ne pourriez-vous pas aller voir Lady Ashworth ? En tant qu’amie ? Vous n’avez rien à craindre. Elle a besoin de réconfort. Il faut lui dire que l’homme qui l’a possédée était davantage qu’un filou. Il l’a forcée contre sa volonté. Si elle n’en a pas gardé le souvenir, c’est la preuve de sa puissance. »

Biche avait l’air de réfléchir. « Un long message, ma’am, fit-elle.

— Retenez-en le sens. Dites-le avec vos mots à vous. »

 

*

 

Le roi Arthur et son conseil étaient en réunion depuis une heure lorsque Lord Ashworth daigna enfin apparaître, et il fut évident qu’il avait bu. Une attitude choquante qui aurait causé un scandale tout autre soir, mais le roi vit seulement qu’il était enfin là et qu’il proposerait peut-être une solution quant aux mesures à prendre, qui les sortirait tous de l’impasse. John Calhoun, toujours aussi exalté, s’affirmait partisan de pendre un esclave sur trois à titre d’exemple. « Ils y regarderont à deux fois avant de recommencer ! » D’un autre côté, ainsi que le lui rappelèrent plusieurs conseillers plus âgés, on ne prélevait pas un tiers des biens les plus précieux de la cité pour les détruire dans le seul but de donner une leçon.

Lord Ashworth, cependant, ne parut pas s’intéresser à la discussion. « J’accompagne quelqu’un qui veut vous voir, dit-il.

— Une audience ! En un pareil moment !

— Elle prétend détenir des renseignements sur la conspiration.

— Nous les connaissons déjà, répliqua le roi. Pendant que nous parlons, nous avons des soldats qui recherchent la cachette des responsables. S’ils sont malins, ils se noieront d’eux-mêmes dans le fleuve avant de se laisser capturer.

— Votre Majesté, je vous supplie de l’entendre. »

Son ton véhément, malgré son état d’ébriété, donnait à réfléchir. « Bon, j’accepte, fit le roi. Par amitié pour vous. »

On introduisit Margaret qui se présenta. Avec impatience, le roi alla droit au but. « Nous savons tout de la conspiration. Que pouvez-vous nous apprendre que nous ne sachions déjà ?

— Je sais, moi, qu’il ne s’agit pas d’une conspiration mais d’un accident. »

Elle débita son histoire en restant aussi près que possible de la vérité sans révéler toute la puissance passée ni la faiblesse présente de Calvin. Un jeune Blanc de sa connaissance avait remarqué un homme à qui chaque esclave remettait un objet dès son débarquement. Il s’agissait de charmes qui gardaient les noms véritables des Noirs en même temps que leur colère et leur peur. Ce soir, un accident avait détruit les cordes-noms, et les esclaves s’étaient soudain retrouvés aveuglés par la fureur longtemps tenue à l’écart. « Mais la frayeur que leur a causée la crue a éteint leur colère, et vous n’aurez plus de rébellion maintenant.

— Foutaises », lâcha Calhoun.

Margaret posa sur lui un regard glacial. « La tragédie de votre vie, monsieur, c’est que malgré toute votre ambition vous ne serez jamais roi. »

Calhoun devint écarlate et voulut répondre, mais le roi leva une main pour lui imposer silence. C’était un roi plutôt jeune, peut-être plus jeune que Margaret, et il se dégageait de lui une assurance tranquille qu’elle trouvait plaisante, surtout depuis qu’il avait l’air intéressé par ce qu’elle venait de dire. « Tout ce que je veux savoir, fit-il, c’est le nom de celui qu’ils appellent le ramasseur de noms.

— Mais vous le connaissez déjà, lui dit-elle. Plusieurs témoins vous ont parlé de Danemark Vesey.

— Ah, mais nous, nous le savons grâce à un excellent travail de recherches. Comment l’avez-vous appris, vous ?

— Je sais qu’il est innocent de toute mauvaise intention », répondit-elle.

Un homme tendit un papier au roi. « Ah, voilà, fit le souverain. Vous vous appelez Margaret Smith, exact ? Mariée à un présumé voleur d’esclave. Et vous voici chez nous, à Camelot, pour vous ingérer dans notre coutume ancienne de la servitude. Eh bien, ce soir nous avons vu où nous mène l’indulgence. Savez-vous combien d’esclaves ont avoué leur intention de tuer des familles blanches entières durant leur sommeil ? Et je découvre maintenant qu’une Blanche a partie liée avec les conspirateurs. »

Malade de terreur, Margaret aperçut dans la flamme de vie du monarque certains avenirs déplaisants où elle tenait le rôle principal. Elle ne s’y était pas attendue. Elle aurait dû sonder son propre futur avant de venir déballer ces histoires incroyables de Noirs donnant volontairement leurs noms pour qu’on les garde en sécurité, puis les retrouvant subitement « Reconnaissez qu’on croirait entendre une fable, expliqua aimablement le roi.

— Votre Majesté, dit Margaret, je sais que certains conseillers vous pressent de châtier brutalement cette révolte. Vous estimez peut-être la chose nécessaire pour que vos sujets se sentent en sécurité chez eux, mais, Votre Majesté, les mesures extravagantes comme celles que propose monsieur Calhoun ne feront que vous exposer à un danger plus grand.

— Il est difficile d’imaginer plus odieux danger que nos serviteurs retournant leurs couteaux contre nous, dit Calhoun.

— Et la guerre ? Une guerre sanglante, horrible, qui tue, blesse ou mutile spirituellement une génération de jeunes gens ?

— La guerre ? demanda le roi. Punir une révolte nous conduirait à la guerre ?

— Les débats pour savoir si les territoires de l’ouest de l’Appalachie seront esclavagistes ou non sont déjà houleux. Un massacre systématique d’hommes et de femmes noirs scandalisera les peuples des États-Unis et d’Appalachie, les unifiera et renforcera leur résolution de ne pas accepter d’esclavage chez eux.

— Suffit, dit le roi. Tout ce que vous avez réussi à me prouver c’est que vous trempez dans une conspiration qui compte parmi ses membres au moins un des serviteurs du palais. Sinon, comment connaîtriez-vous la proposition de John Calhoun ? Quant au reste, le jour où j’aurai besoin des conseils d’une abolitionniste pour conduire les affaires de l’État, je ne manquerai pas de faire appel à vos services.

— Votre Majesté, intervint Calhoun, il paraît évident que cette femme en sait beaucoup plus long sur la conspiration qu’elle ne veut bien le dire. Ce serait une erreur de la laisser repartir aussi facilement.

— Ce que je sais, c’est qu’il n’y a pas de conspiration, rétorqua Margaret. Allez-y, arrêtez-moi, si vous êtes prêt à supporter les protestations qui s’ensuivront.

— Si nous pendons un esclave sur trois, personne ne viendra poser de questions sur vous, fit Calhoun. Maintenant, arrêtez-la ! »

Ce dernier ordre s’adressait aux soldats de faction à la porte. Ils entrèrent aussitôt d’un pas énergique et saisirent Margaret par les bras.

« Elle ne tardera pas à avouer, dit Calhoun. Dans les affaires de trahison, ils avouent toujours.

— Je n’aime pas connaître ce genre de détails, dit le roi.

— Moi non plus », lança une autre voix d’homme. Il fallut un moment à l’assemblée pour s’apercevoir que ce n’était pas un des conseillers royaux qui venait de parler.

Non, c’était un grand gaillard vêtu comme un travailleur en habits du dimanche – des habits qui visaient l’élégance mais ne parvenaient qu’à paraître vaguement pitoyables et mal taillés. Et, à ses côtés, un petit métis aux deux tiers de sa croissance.

« Comment êtes-vous entrés ? » s’écrièrent plusieurs voix en même temps. Mais l’étranger ne répondit pas. Il s’approcha de Margaret et lui déposa doucement un baiser sur les lèvres. Puis il plongea longuement les yeux dans le regard fixe d’un des soldats qui la tenaient par le bras. En frissonnant, l’homme la lâcha et recula. Son collègue l’imita.

« Ben, Margaret, fit l’inconnu, on dirait que j’peux pas t’laisser une minute toute seule.

— Qui êtes-vous ? demanda le roi. Son conseiller en politique étrangère ?

— J’suis son mari, Alvin Smith.

— C’est gentil à vous d’arriver au moment où nous arrêtons votre femme. Nul doute que vous faites aussi partie de la conspiration. Quant à ce garçon noir – il est inconvenant d’amener votre esclave en présence du roi, surtout un esclave trop jeune pour avoir été sérieusement éduqué.

— Je suis venue vous empêcher de commettre l’erreur qui finira par vous coûter le trône, dit Margaret. Si vous ne tenez pas compte de mon avertissement, ce n’est pas moi qui serai à blâmer.

— Sortons-la d’ici, fit Calhoun. Nous avons des heures de travail devant nous, et il est évident qu’il faut l’interroger en tant que membre de la conspiration. Son mari aussi, et cet enfant. »

Margaret et Alvin se regardèrent et se mirent à rire. Arthur, quant à lui, était trop occupé à contempler la magnificence de la salle du conseil pour faire attention à ce qui se passait. Il n’avait pas vraiment remarqué le roi, jusqu’à ce qu’Alvin le lui montre du doigt. « Tiens, Arthur Stuart. Ça, c’est l’bougre dont on t’a donné le nom. Le roi d’Angleterre, en exil dans les colonies d’la Couronne. R’garde la tête couronnée dans toute sa majesté.

— Enchanté, monsieur », fit Arthur Stuart au roi.

L’indignation de Calhoun augmenta d’un cran. « Vous osez vous moquer du roi de cette façon ? Sans parler que vous avez en outre donné son nom à un enfant noir.

— Comme vous m’avez déjà pendu dans votre tête, fit Alvin, qu’est-ce que j’risque de pire si j’aggrave le crime ?

— N’aggrave rien, Alvin, lui dit Margaret. Il a été averti que s’il exerce des représailles contre cette révolte qui n’a même pas eu lieu, en tuant des esclaves sans souci de leur culpabilité ou de leur innocence, la guerre s’ensuivra.

— Je n’ai pas peur de la guerre, répliqua le souverain. C’est en de telles occasions que les rois font leurs preuves.

— Vous confondez avec le jeu d’échecs. À la guerre, tout le monde a les mêmes chances de verser son sang. » Margaret se tourna vers Alvin. « J’ai transmis mon message. Ce n’est plus mon affaire. Et ton frère a besoin de toi. »

Alvin hocha la tête. Il se tourna vers l’assemblée autour de lui. « Messieurs, vous pouvez retourner à vos délibérations. J’ai couru jusqu’icitte depuis la Nouvelle-Angleterre cet après-midi et j’ai plus de temps à perdre avec vous autres. Bonsoir. »

Alvin prit Arthur d’une main et Margaret de l’autre. « Écartez-vous, s’il vous plaît », dit-il.

Les hommes qui lui bouchaient le chemin ne bougèrent pas.

Puis, soudain, ils bougèrent. Ou, plutôt, leurs pieds bougèrent, glissèrent tout seuls sous eux. Alvin fit un autre grand pas vers la porte.

Le roi dégaina une épée. Les autres hommes l’imitèrent, mais après avoir dû les récupérer au mur où ils les avaient accrochées pour la réunion. Et deux gardes près de la porte tirèrent des pistolets.

« Vraiment, Votre Majesté, dit Alvin, la moindre des courtoisies, c’est de permettre à ses invités d’prendre congé. »

Il n’avait pas fini de parler qu’il tendait déjà la main pour modifier le fer des épées et des pistolets. Sous les yeux horrifiés de leurs propriétaires, les armes se mirent à fondre et à goutter par terre pour former des flaques de métal liquide et froid. Tous les lâchèrent et eurent un mouvement de recul.

« Qu’êtes-vous donc, monsieur ? s’écria le roi.

— N’est-ce pas évident ? fit Calhoun. C’est le diable, la mère du diable et leur fils bâtard !

— Hé, protesta Arthur Stuart. J’suis p’t-être un bâtard, mais j’suis pas leur bâtard à eux autres.

— Excusez-nous de devoir vous quitter à la galope, fit Alvin. J’vous souhaite un bel avenir, Votre Majesté. » Là-dessus, il baissa la main, arracha la serrure de la porte massive, puis poussa doucement sur le battant qui se détacha de ses gonds fondus pour s’abattre bruyamment par terre à l’extérieur de la salle du conseil. Le trio sortit sans être inquiété.

 

*

 

La puanteur du corps mort de Calvin baignait le grenier lorsque Margaret y fit entrer Alvin et Arthur. Alvin se rendit tout de suite auprès du cadavre et s’agenouilla en pleurant. « Calvin, j’suis venu l’plus tôt que j’ai pu.

— Si vous voulez pleurer, fit Danemark, pleurez les morts.

— Je lui ai déjà expliqué que nous avions gardé la flamme de vie de Calvin dans une boite, dit Margaret.

— J’peux pas réparer le corps sans la flamme de vie dedans, fit Alvin. Et il peut pas garder la flamme de vie tant qu’il est pas réparé.

— Fais les deux en même temps, suggéra Margaret. Vous pouvez y arriver, non, Gullah Joe ? Réintégrer la flamme de vie dans le corps, petit à petit ?

— Vous perdre l’esprit ? demanda Gullah Joe. Combien miracles vouloir ce soir ?

— J’vais faire d’mon mieux », dit Alvin.

Il travailla sur le corps de Calvin trois heures durant. À peine s’attaquait-il à un organe que celui qu’il venait de terminer recommençait à se décomposer. Mais à force d’acharnement et de méthode, il réussit à remettre le cœur et le cerveau en ordre de marche. « Allez-y », dit-il.

Gullah Joe se décolla doucement de la boîte, puis il la porta près de Calvin et l’ouvrit.

Alvin et Margaret virent tous deux la flamme de vie bondir dans le corps. Le cœur se mit à battre convulsivement. Une fois. Deux fois. Du sang circula dans les artères dégonflées. Alvin ne s’arrêta pas à ce détail – c’étaient les poumons qu’il devait réparer à présent, vite, sans délai. Mais la flamme de vie de nouveau présente rendait la tâche beaucoup plus aisée, car il pouvait désormais imposer un modèle que le corps imiterait, transmettant l’information dans tous les tissus vivants. Un diaphragme à demi putréfié se contracta puis dilata les poumons. Le sang qui coulait faiblement dans les veines transportait maintenant des quantités de plus en plus grandes d’oxygène.

Ce n’était que le début. Le jour était complètement levé lorsqu’Alvin arriva au bout de ses peines. Calvin respirait facilement, normalement. Ses chairs avaient guéri sans laisser de cicatrices. Il était aussi frais qu’un nouveau-né.

« Ça je voir cette nuit, fit Gullah Joe. Quel dieu vous être ? »

Alvin secoua la tête. « Esse qu’y a un dieu d’la fatigue ? »

On se mit à tambouriner à la porte du rez-de-chaussée.

« Ignore-les, dit Margaret. Ils ne sont que deux. Ils ne forceront pas la porte tant qu’ils n’auront pas d’autres soldats en renfort.

— Combien de temps on a ? demanda Alvin.

— Pas beaucoup. Je propose qu’on s’en aille maintenant.

— Le djab se r’pose donc pas ?

— Vous être un diable aussi ? fit Gullah Joe.

— C’est une blague, dit Alvin. Margaret, qui c’est, ces genses ?

— J’aurai tout le temps de t’expliquer en route. » Margaret se tourna vers les autres. « C’est dangereux pour vous de rester ici, Danemark, Gullah Joe. Venez avec nous. Alvin peut vous protéger jusqu’à ce que vous soyez dans le Nord, loin de cette ville indigne. » Puis elle se tourna vers Poissarde et la femme de Danemark. « Vous courez moins de risques, mais pourquoi resteriez-vous ? Nous allons vous emmener avec nous dans le Nord. Si vous voulez, vous pourrez aller à Vigor Church. Ou à Hatrack River. » Margaret regarda Gullah Joe et sourit « J’aimerais voir ce que les habitants de Hatrack River, avec leurs talents, feraient de vous. »

Danemark tira sur la manche d’Alvin. « Ce que vous avez fait pour votre frère. Le ramener de chez les morts. Et ma femme ? »

Il la fit avancer.

Alvin ferma les yeux, étudia la Noire un moment « C’est une vieille blessure, et c’est beaucoup lié au cerveau. J’connais pas. Allons-nous-en d’icitte et, quand on sera à l’abri dans l’Nord, j’ferai ce que j’pourrai. »

Ils furent tous d’accord pour les accompagner. Quel choix avaient-ils ? « Vous pouvez pas emmener tout l’monde ? demanda Poissarde. Les esclaves de la ville, emmenez-les tous ! »

Margaret l’entoura du bras. « Si c’était en notre pouvoir, nous les emmènerions. Mais autant de monde… Qui accepterait d’un coup des milliers de Noirs libres ? Une fois qu’ils seraient dans le Nord, on les renverrait. Vous, nous pouvons vous emmener. »

Poissarde hocha la tête. « Je sais vous voulez bien faire. Ça sera jamais assez.

— Non, reconnut Margaret. Jamais assez. Mais nous faisons de notre mieux et nous espérons qu’à la longue ce sera suffisant. »

Alvin s’agenouilla encore près de Calvin, le secoua doucement, le réveilla. Calvin ouvrit les yeux et vit son frère. Il eut un rire joyeux.

« Toi, fit-il. T’es venu m’sauver. »

Flammes de vie
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